Lorsque je ne fauchais pas. J'aimais m'isoler dans les souvenirs les plus beaux de quelques âmes. J'avais une préférence pour ce souvenir ; celui d'un après-midi au bord du lac de Ballston. Ce souvenir ne m'appartenait pas bien sûr, mais je m'autorisais à me l'approprier pour quelques instants. J'y étais tranquille. Loin de toute agitation. Je me perdais à observer le vaste et lisse étendu d'eau, lorsqu'une présence peu habituelle à ce souvenir détourna mon attention.
- Tu ne devrais pas être ici. Me rappela Tessa, sans pour autant que cela ne sonne comme un reproche.
- Bien sûr. Je m'apprêtais à partir de toute façon. Je lui dis, ponctuant d'un bref sourire.
- Attend...ne crois pas que je suis ici pour te surveiller. Me dit-elle avec une certaine insistance.
- Je sais. Je lui rétorqua en me retournant face au lac. Quelque chose semble te préoccuper. De quoi s'agit-il ? Je finis par lui demander après quelques secondes de silence.
- Les anges parlent de toi Leny. Délivra Tessa. Ils n'ont que faire d'une rumeur. Tu le sais, mais ils continuent de parler de toi...
- Alors, tu me crois vraiment capable de me retourner contre notre Maître ? Dans l'unique espoir de prendre sa place. Je te le dis une dernière fois. Je n'oserais jamais faire une chose pareil. Je portais une déception à l'égard de Tessa. Elle, comme la plupart, commençait à croire en cette rumeur qui me mettait des plus mal à l'aise. Je sais quelques faucheurs auraient apprécié que l'on en dise autant à leur sujet, mais je ne me trouvais aucun intérêt à profiter de ma nouvelle réputation. Je préférais m'en cacher. En quelques temps, je paraissais pour un traître, celui qui viendrait un jour à faucher La Mort. Faucher La Mort, n'est-ce pas l'idée la plus ridicule qui puisse exister.
- Leny...je n'ai pas dis ça...
- Non, c'est vrai. Tu ne le dis pas, mais tu le penses. Maintenant, va t'en. Je n'ai plus qu'à compter sur son bon jugement pour dissoudre cette drôle de prédiction. J'avais hausser légèrement le ton de ma voix. Je ne supportais plus la moindre présence. Tous commençaient à me dégoûter. Tessa disparut et je me suis décidé à prolonger le temps de ma présence devant ce souvenir. Finalement, rien ne me donnait envie de le quitter si vite.
'Sacrifice'
Une ombre apparut devant le vieil entrepôt. Leny observait les lieux avec beaucoup d'attention, recherchant celui ou celle qui l'avait attiré jusqu'ici. Guidé par ses sens, Leny venait à entrer par la grande porte coulissante du bâtiment. L'endroit était des plus délabré, certainement qu'il ne servait plus depuis quelques temps. Un sol irrégulier et parsemé d'eau croupis. De hautes fenêtres encrassées. Quelques rats parcourant les poutres rouillées. Leny se demandait alors ce qui aurait poussé un Homme à venir rendre son âme en un tel endroit. Il avança jusqu'au centre de l'entrepôt, là où émanait cette énergie si particulière qui l'avait mené jusqu'ici.
-Qu'est-ce que c'est que ce...Songeait-il à mi-voix, pointant son regard dans chaque recoins, mais toujours rien. Pas un corps, pas une âme qui vive. S'apprêtant à repartir, un étrange phénomène vint à se produire. Chaque parois de l'entrepôt s'était mise soudainement à grincer et à s'affoler. Leny sentait le sol vibrer sous ses pieds, quelques ridules apparaissait à la surface des flaques d'eau. La charpente faisait soudainement douter de sa solidité. Levant les yeux en direction des fenêtres, Leny vit une ombre passer avec brièveté. Ne se sentant pas en sécurité, le faucheur tentait en vint de s'extraire de cet endroit, mais quelque chose semblait déjà le retenir.
Cette nuit-là. De puissants faisceaux de lumière s'étaient soudainement échappés des fenêtres du vieil entrepôt. Grinçant les murs et la toiture. Gelant les vitres jusqu'à l'implosion. Puis, plus rien. A nouveau l'obscurité. Pas un corps, pas une âme...ni même un faucheur.
'Ad vitam aeternam'
Le temps d'une vie. Peut-être plus. Combien d'âmes considéreraient ma situation comme une chance ? Moi-même j'ignore comment considérer cela. Tellement de personnes pleurent la mort que l'on pourrait croire que la vie est la chose la plus merveilleuse, mais qu'en savent-ils ? Vivre, c'est dépendre de tout un tas de sensations qui me sont presque désagréable par moment. Voir embarrassante. A présent, je connais la douleur, je connais la faim et la fatigue. Quant aux sentiments, je dois avoué qu'il m'est encore difficile de les assimiler pour la plupart. Je connais déjà la haine et la colère. Par contre j'ai appris la peine, un sentiment que je ne faisais qu'imiter jusqu'à présent. Rire m'est compliqué, sourire l'est tout autant surtout quand l'idée de ne plus être ce que j'étais me traverse l'esprit. Lorsque je regarde ce reflet dans un miroir, j'ai parfois l'impression de ne plus m'y reconnaître. Je suis ce jeune homme au cheveux brun et mi-long. Les yeux bleu et cerné. Ce visage pâle et ces joues quasi-creuse. Il est étrange de se retrouver prisonnier d'un corps. Un corps qui n'est ni plus ni moins qu'une cage de chair, d'os et de sang. Désagréable sensation d'oppression. Avant, ce corps n'était qu'une image que je laissais paraître, cachant aux âmes ma véritable apparence. A présent, cette image est un corps palpable, fragile et imperméable à ce que je crois considérer comme mon âme.
Je trouve le temps long. Lorsque je regarde l'heure, ce n'est plus pour faucher une âme, mais pour me situer. Je passe mes journées dans une ville que l'on appelle Summit. Une petite ville dans l’État du New-Jersey si j'en crois les nombreuses cartes. Je déambule. Sans savoir quoi faire. J'aimerais tant attirer l'attention de La Mort, mais elle semble ne plus vouloir de moi. Pourtant, je n'ai pas hésité sur les tentatives pour m'en approcher, mais je continu de vivre. Je ne fais que blesser mon corps. Cela en est presque vexant. Alors je continu de traîner dans Summit du matin au soir. Finissant ces journées au 'Bob's Dinner' le plus souvent.
- Bonsoir Leny. Me dit-on à mon arrivée. Je connais beaucoup de monde dans ce petit restaurant et beaucoup de monde ont finit par me connaître. Il ne connaisse rien de mon histoire bien évidemment, mais ils ont été assez doué pour m'en inventer une. Ce soir, le restaurant presque désert. Comme tous les Lundi soir d'ailleurs. Je m'installe donc devant le comptoir, juste face à la sympathique Hope. Une jeune fille qui n'avait aucun soucis à se faire concernant son espérance de vie. Je continu de percevoir ces choses-là, je ressens la vie, comme la mort. Je perçois les âmes vagabondes, je les entends à tenter de se faire entendre. Triste spectacle. Qu'est-ce que je te sers pour ce soir ? Me demande t-elle, mais avant que j'ai eu le temps de réfléchir, elle me coupa dans mon élan. Je sais. N'en dis pas plus. Je la laissais faire, de toute façon, je mangeais le même plat depuis mon arrivé. Et cette fois, c'est moi qui te l'offre. Me dit-elle quelques minutes plus tard en déposant mon assiette devant-moi. Ça évitera de rallonger un peu plus ta note. Il est vrai qu'à chaque repas je faisais inscrire mes consommations sur une note dont j'ignorais encore le montant.
- Tu as l'air...particulièrement heureuse ce soir. Je lui fis remarquer.
- Oui, c'est mon dernier soir ici. Demain je reprends mes études. M'annonça t-elle en exprimant son excitation à ce projet.
- Ah...c'est bien. J'imitais un sourire. Alors c'était la dernière fois que je voyais Hope. Étrangement, sa présence allait me 'manquer'. Elle était une bonne vivante. En tout cas, merci pour le repas...et ne t'inquiète pas, je finirais bien par payer. Juste le temps que je trouve un...
- Travail. Continua t-elle, comme amusée. Pourquoi ne demanderais-tu pas ma place ? Tu connais déjà la clientèle et je suis sûr que Jeff' serait assez d'accord. Ça rembourserait ta dette en même pas une semaine. Me dit-elle. Je restais sans réaction, laissant ma fourchette plantée à travers l’œuf au plat.
- C'est que...
- Je lui en fait part dés qu'il reviendra.
Et c'est ainsi que je me suis retrouvé à travailler au 'Bob's Dinner'. Jeffrey Klein n'avait pas hésité un instant à me prendre, même si fermer les yeux sur le fait que je n'avais aucun papier le dérangeait. A présent, je travaillais, comme si de rien n'était. Je remboursais mes consommations, ainsi que ma note de frais au Motel le plus proche. J'y louais une chambre depuis quelques jours, non pour dormir car j'avais encore une certains mal à me faire à ce besoin, mais tout simplement pour m'y planquer lorsque les rues de Summit ne me disaient plus rien.
J'occupais la chambre 9 au 'Dirt's Motel' situé au bord de la grand route, la plus proche de Summit. Je ne m'y rendais seulement lors de mes jours de repos. J'avais entassé dans cette chambre tout un tas de note que je prenais lorsque j'ignorais encore d'où provenait mes rêves. Je rêvais d'accident, je voyais la manière dont certaines personnes allaient mourir. Ce n'est qu'en allant vérifier sur place que je me suis aperçu que ce n'était pas de simple rêve. Je percevais les projets de La Mort. Alors, me vint une idée.
Je me rendais sur les lieux que j'avais perçu quelques minutes plus tôt et j'attendais patiemment jusqu'à ce que la chose se produise devant mes yeux. Je me disais qu'il n'y avait pas meilleur occasion pour ma part de prendre rendez-vous. Comme le voulait la mécanique, une faucheuse apparaissaient quelques secondes plus tôt afin de faucher l'âme si il y avait. J'observais la faucheuse et m'arrangeait pour la surprendre lorsqu'elle s'y attendait le moins.
- Dexon. Interpellais-je. Lorsque le faucheur se retourna, il me confia sa surprise. J'ai un message à passer.
- Le...Leny. Tu...je n'ai pas le temps de me mêler à tes problèmes. Va t'en. Cela vaudra mieux pour toi. Me dit-il en se concentrant sur le lieu du prochain accident. Il m'ignorait, mais je ne pouvais pas le laisser faire.
- Dexon. J'ai besoin de toi. Je veux le voir. Demande lui de venir jusqu'à moi. Je ne demandais pas, j'imposais. Je ne pouvais me permettre de demander ce genre de chose. Surtout quand l'un de vos anciens confrère ne semble pas entièrement décidé.
- Tu le connais aussi bien que moi. Tu sais très bien qu'il n'est pas facile à joindre. Laisse tomber Leny. Ce n'est plus ton affaire. Il me semble que tu avais été prévenu de ce qu'il en adviendrait...tu n'as pas agit à temps. Tant pis pour toi. Fait ta vie. Il me rétorqua, ne me prêtant pas un seul regard.
- Tu refuses de m'aider ? Je lui demande, mais son silence vint me souffler la réponse à l'oreille. Très bien, comme tu veux...c'est toi qui voit. J'observais la bijouterie dans laquelle devrais se passer l’Evénement. Un braquage qui devrait mal se terminer pour le propriétaire du commerce. Dexon s'était déjà rendu à l'intérieur, alors que rien n'avait commencé. Je me suis rendu vers la prochaine cabine téléphonique. Il ne me restait que quelques secondes seulement, mais je devais tenter mon coup. Par chance, une patrouille de police semblait être à quelques rues d'ici, leur permettant d'arriver bien avant que les choses ne se gâte. Ainsi, j'empêchais une mort.
- Qu'a tu fais ? Me demanda Daxon, furieux. Tu n'avais aucun droit de faire ça. Tu n'as aucun droit. Ce n'est pas comme ça que tu parviendras à attirer son attention Leny. Si ce n'est pas cette personne qui meurt, ça en sera une autre. Je ne t'aiderais pas.
- Vraiment ? Alors je vais continuer Daxon. Si empêcher les morts ne suffisent pas, alors je ferais en sorte de m'attaquer à autre chose. Quelque chose qui ne se remplace pas.
- Ah oui ? Et quelle est cette chose ? Me demanda Daxon dont l'envi de jubiler était assez proche.
- Voyons Daxon...Vous. Si La Mort ne se décide à me rencontrer, alors je me verrais dans le regret de vous traquer. La prochaine fois, c'est toi que je fauche Daxon. Alors, soit gentil et fait ton nécessaire avant que je perde patience.
- Pauvre minable. Tu ne peux pas te débarrasser de nous. T'es qu'un humain...Dit-il, sans vraiment avoir l'air convaincu de chacune de ses paroles. J'aimais le voir ainsi, nager en plein doute.
- Ne t'inquiète pas. Semblerait qu'il me reste quelques réserves. C'est bien pour ça que j'arrive encore à te voir d'ailleurs. Allez, je te laisse à ta course aux âmes. A bientôt. Je lui dit avec un large sourire. Ce genre de sourire forcé qui laisse paraître votre amertume. Daxon s'en est allé. Je suis repartit à Summit. Je travaillais le lendemain. J'hésitais encore à concrétiser ma menace, mais si ce n'était que le seul moyen. Alors, pourquoi pas. Après tout, j'ai tout une vie devant pour m'en charger, même peut-être plus.